Les avatars secrets d'un méloé
Je
ne connaissais pas le méloé, pas plus que le sitaris... et vous non plus sans
doute. Ce coléoptère est réparti à travers toute l' Europe, essentiellement
dans les régions montagneuses. Et c'est dommage de le méconnaître car sa
perpétuation tient du miracle tant elle est soumise aux aléas (les mécanismes
de la sélection naturelle des espèces semblent en ce cas bel et bien pris en
défaut). J'en ai rencontré un spécimen en randonnée, non loin de Gergueil, en bordure de chemin
forestier. L'on présente l'adulte comme lourdaud, peu réactif. En tout cas, ce
n'était guère le cas du mien que j'ai eu quelque difficulté à photographier à
cause même de sa vivacité! Autre surprise, à posteriori : l'ayant manipulé sans
précaution, il aurait dû se défendre à sa manière, très particulière. Peut-être
que ce trompe-la-mort, pressentant que je lui laisserais la vie sauve, ne s'est
pas "saigné aux quatre veines"!
Voici sa défense : la production d'un liquide
toxique suintant de la bouche et des articulations (sorte de saignée réflexe
dite autohémorrhée). Cette excrétion contient de la cantharidine d'une toxicité
analogue à celle de la strychnine. L'on cite le cas d'un crapaud surpris à
recracher aussitôt sa proie à peine mise en bouche... En l'occurrence, il
aurait été pour moi tout à fait contre-indiqué de croquer ce gros insecte pour
sa richesse en protéines comme certains me l'avaient suggéré par plaisanterie!
C'est la cantharide dite improprement Mouche d'Espagne appartenant également à
la famille des Méloïdés qui détient le plus de cette substance toxique utilisée
comme poison et comme médicament aphrodisiaque par les médecins de l'Antiquité
et de la Renaissance : elle exerce un effet très fâcheux sur les reins – 0,03 g
seulement de cantharidine étant mortel pour l'homme.
Les
2 espèces les plus connues sont le méloé violet (Meloe violaceus) et le méloé
printanier (Meloe proscarabaeus) La
1ère espèce est d'un bleu violacé, la seconde noire.
Celle-ci
a une tête (et un pronotum -1 ) plus larges et nettement ponctués donnant une
apparence grêlée; les élytres sont courtes et s'écartent comme des basques. Le
spécimen présenté ci-dessus est une femelle : taille plus grande que le mâle dont
les antennes sont coudées ; celui-ci a
une excroissance à son extrémité
abdominale qui est l'organe reproducteur. Les bandes abdominales évoquent des
plaques métalliques comme celles des armures qui seraient fixées sur les côtés
par des rivets (en fait, points latéraux visibles sur la photo)
1-pronotum :
partie supérieure du prothorax des insectes (autrement dit, partie
intermédiaire entre la tête et le thorax).
Reproduction
des méloés
Le
scénario s'avère bien complexe. D'abord, une grande quantité d'œufs est pondue
puis enterrée : plus de 4000 lors de la 1ère ponte, suivie de
plusieurs autres, certes un peu moins fournies. A l'éclosion , les triongulins, nommés ainsi car ils sont
munis de pattes portant 3 ongles griffus,
ne volent pas plus que leur mère. Ils se déplacent aussi grâce à leurs
mandibules et à une papille anale. Très petits, ils se précipitent sur les
fleurs, principalement des Composées : le temps presse pour eux, car ils ne peuvent manger avant d'avoir atteint
leur but. Celui-ci consiste à se cramponner aux poils d'une abeille venant
butiner l'inflorescence (on les appelle à ce stade, "poux des abeilles").
Mais, hélas pour eux, ils se fixent
aussi sans discrimination sur des insectes qui les mènent ... à leur perte,
n'étant pas nidifiants.
Parvenu
par chance au domicile de l'insecte
parasité (le plus souvent l'abeille maçonne), le triongulin doit encore patienter alors qu'il est à jeun : ne se détacher de l'abeille qu'à l'instant
précis de la ponte, dans une alvéole, d'un œuf pour s'y agripper comme à une
bouée pour éviter de s'engluer dans le miel! Là, son premier travail est de
dévorer l'œuf dont l'enveloppe vide va lui servir de radeau. Une 1ère
métamorphose se produit bientôt : la larve prend une toute autre allure , celle d'un petit ver blanc et
flottant, de plus en plus dodu, sans pattes et qui poursuit sa croissance en se
nourrissant cette fois du miel. L'ultime métamorphose survient enfin : celle de
l'imago ou insecte parfait, qui lui, se nourrit de pollen. C'est pourquoi
Jean-Henri Fabre qualifie ces transformations d'hypermétamorphoses.
Cette
complexité laisse perplexe. En effet, pourquoi de telles complications dans la
nymphose? L'on est à la fois admiratif devant tant d'ingéniosité et dérouté par
ces détours de l'instinct. Le sitaris, espèce voisine, a une stratégie plus
adaptée, moins aléatoire : "Ce coléoptère dépose ses œufs à l'entrée des
galeries souterraines que creuse une espèce d'abeille, l'antophore [abeille
maçonne]. La larve du sitaris, après une
longue attente, guette l'antophore mâle au sortir de la galerie [ceux-ci
émergeant généralement avant les femelles], s'y cramponne , y reste attachée
jusqu'au "vol nuptial" ; là, elle saisit l'occasion de passer du mâle
à la femelle, et attend tranquillement que celle-ci ponde ses œufs"
("L'Évolution créatrice" d'Henri Bergson)
Alors
que l'on craint la disparition des abeilles victimes des pesticides, l'on voit
bien aussi que tout est interdépendant :
plus d'hyménoptères, donc plus de méloés, et surtout plus de pollinisation ...
M.M.
Réf. : "Souvenirs
entomologiques" de Jean-Henri Fabre